Produits solaires : qui trompe qui ?
Jean-Marc Giroux
Docteur en Pharmacie, Expert toxicologue pharmacologue
Président de Cosmed, l’association des PME de la filière cosmétique
Désormais, on semble assister tous les ans à la même époque à un véritable « solar bashing » dans certains médias grand public. Le journal Libération pendant l’été 2012, la revue 60 millions de consommateurs cette année. Les SPF de plusieurs marques de produits solaires sont « testés » à la veille des vacances estivales. Les bonnes et mauvaises notes sont livrées à un public désorienté. Dans son numéro 484, 60 millions de consommateurs titre « crèmes solaires : une protection trompeuse ? » « un faux sentiment de sécurité », « soupçons sur les indices ».
L’effet d’une telle rhétorique journalistique est efficace. Audience garantie. Malheureusement, ces lanceurs d’alertes, selon l’expression consacrée, s’appuient encore et toujours sur des bases erronées ou incomplètes qui ont maintes fois été dénoncées.
La méthode de mesure « in vitro » : un faux sentiment de vérité.
60 millions de consommateurs reprend une série de tests in vitro réalisés par Laurence Coiffard, une personnalité scientifique contestée. Une nouvelle fois, il faut rappeler que les tests in vitro,utilisés actuellement pour la détermination de la protection UVB, ne sont ni fiables ni validés parles autorités sanitaires dans le monde. Ils sont par ailleurs totalement inadaptés à la mesure des SPF obtenus avec des filtres minéraux, de plus en plus plébiscités par les consommateurs. Seuls les tests in vivo sur des testeurs volontaires sont reconnus et permettent aux entreprises d’enregistrer leurs produits dans tous les pays.
Les entreprises appellent de leurs voeux la mise au point de tests in vitro fiables, pour une raison simple : ils sont jusqu’à 10 fois moins chers ! Bien que non validés ils restent utiles, par exemple,pour approcher le SPF voulu lors d’un développement de formule, pour évaluer le niveau de protection UVA (norme ISO 24443). Ils peuvent aussi servir aux autorités pour effectuer une présélection des produits, en vu de contrôles de grande envergure au niveau national. En aucun cas, les autorités ne se basent sur les résultats in vitro pour vérifier la conformité des SPF revendiqués. Ainsi, la marque de produit solaire pour bébé, Natessance IP 30, nommément mise en cause par le test in vitro de la revue 60 millions de consommateurs, a été reconnue conforme dès 2008 par l’AFSSAPS (devenue l’ANSM) suite à un contrôle sur place des inspecteurs de santé publique. Ce produit, de SPF 30 confirmé, vient de faire l’objet, sur le même lot, de trois tests in vitro dans trois centres experts renommés différents,(Paris, Bordeaux et Marseille). Résultats : Les valeurs sont toutes différentes selon le centre (34, 7, 14). Même constat avec le produit Biorégéna Soleil SPF 50, 100% minéral, contrôlé parfaitement conforme par les autorités. Autant de marques citées, autant d’exemples. Combien faudra‐t‐il de preuves comme celles‐ci pour que certains admettent que les tests in vitro ne sont pas encore reproductibles ?
60 millions de consommateurs s’est livré à un dénigrement des marques, une diffamation des entreprises, une remise en cause des réglementations nationale et internationale ainsi que des compétences des inspecteurs de l’ANSM. Excusez du peu!
Pourtant, en octobre 2012, l’association Cosmed avait fait réaliser une expertise, sous contrôle d’huissier,démontrant que les tests in vitro réalisés par Laurence Coiffard étaient entachés d’erreurs de mesure. Cette information, publiée, lui a même été transmise…sans qu’elle ne l’ai tjamais contestée depuis. L’étude était bien connue de la rédaction de 60 millions de consommateurs, qui l’a soigneusement écartée du débat. En l’état actuel des connaissances, les tests in vitro pourraient être comparés à un mètre decouturière élastique…la justesse de la mesure varie selon celui qui le manipule.
Des crèmes solaires « dopées aux anti‐inflammatoires »: une affirmation trompeuse
La faible activité anti‐inflammatoire de certains filtres UV est connue depuis près de 20 ans, en particulier pour les dérivés cinnamiques (type ParsolMCX). En soi rien de nouveau. Cette activité est 10 à 20 fois inférieure à celle des anti‐inflammatoires non stéroïdiens les plus courants utilisés par voie transcutanée (ex: acide niflumique). Il serait plus juste de parler de propriétés légèrement apaisantes : approximativement le même effet qu’entrainerait l’application sur la peau d’une compresse imbibée de thé ! Objectivement, cela n’a aucune incidence sur la perception du coup de soleil pour 3 raisons.
• Les filtres solaires protègent la peau des UVen absorbant le rayonnement et en se dégradant plus ou moins rapidement, selon la nature du filtre. Cette dégradation chimique leur enlève,tout aussi rapidement, leurs faibles propriétés anti‐inflammatoires.
• Par ailleurs, un coup de soleil n’est jamais perçu au moment où il survient. Il est ressenti plusieurs heures après, le soir le plus souvent. Chacun en aura fait l’expérience. Un hypothétique pouvoir anti‐inflammatoire ne changerait donc pas la décision du sujet decontinuer à s’exposer ou pas.
• Enfin, il faut souligner que dans les conditions de réalisation des tests in vivo sur les sujets volontaires, le pouvoir apaisant des filtres solaires est si faible qu’il ne peut interférer avec la lecture des résultats. Les produits solaires ne sont donc aucunement « dopés » aux anti inflammatoires comme 60 millions de consommateurs le prétend.
Pour parvenir à cette conclusion la revue s’est livrée à un exercice invraisemblable. Elle affirme avoir réalisé des tests sur animaux, sur souris précisément, au motif d’un « enjeu de santé publique ». Cosmed a demandé par écrit à recevoir le protocole d’essai du Centre d’Essai Comparatif. Sans réponse. Et pour cause: les essais sur animaux sont en effet interdits depuis le 11mars 2009, en vertu de l’article 18 du Règlement cosmétique 1223/2009. De son côté, le test sur souris publié par L Coiffard était inutile et ne s’inscrit plus dans la démarche éthique que l’on attend désormais de la communauté scientifique. Inutile, car il n’apporte rien qui ne soit déjà évoqué dans la bibliographie. Non éthique, car pour apprécier le pouvoir anti‐inflammatoire d’une substance, il existe de nombreux tests alternatifs à l’expérimentation animale, notamment les tests ayant recours à la mesure des médiateurs de l’inflammation sur des explants de peau humaine.
Pourquoi dans ce cas, avoir mutilé des dizaines de souris avec le test PMA (Phorbol‐Myristate‐Acetate)? Un test déjà très ancien qui provoque des souffrances importantes pour des résultats sans grande précision.
Le parti pris de la revue 60 millions de consommateurs laisse interrogateur. Absence d’objectivité,présentation biaisée, amateurisme scientifique, utilisation hors la loi de tests sur animaux pour satisfaire la position d’un article, diffamation des entreprises… alors qui trompe qui véritablement? La baisse continue des ventes et les difficultés financières de la revue sont connues. Pousseraient‐ellesla rédaction vers la construction sur mesure de sujets polémiques aux seules fins d’augmenter les ventes?Quoiqu’il en soit le mot de la fin revient à une autre revue, UFC Que choisir, peu suspecte de complaisance à l’égard de l’industrie. Selon ses propres tests, réalisés conformément aux normes internationales,avec des protocoles clairement publiés, cette revue conclut : « Bonne nouvelle : les produits testés protègent bien contre les UVA et les UVB...» C.Q.F.D
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