Le projet de Règlement « Zéro-déforestation » et ses impacts sur la cosmétique
Comme tant d’autres règlementations européennes à visée environnementale, il est une des conséquences du Pacte Vert que la Commission européenne a présenté fin 2019. Celle-ci a pour but de lutter contre la déforestation, particulièrement la déforestation “importée”. Sybille Millet, de Cosmed, l’a présenté lors des Rencontres réglementaires du 21 mars 2023. Le projet de texte et l’arbre que cache la forêt : l’impact important que ce Règlement va avoir sur la cosmétique, et notamment sur certaines de ses matières premières.
Ce projet de Règlement européen vise à lutter contre la destruction ou la dégradation des forêts en Europe et dans le monde (la déforestation “importée”), par le soutien aux produits qui ne leur nuisent pas, conformes aux législations locales et issues de filières “deforestation-free”.
Les ressources concernées
Le texte cible sept produits de base, comme le café, le bois ou le caoutchouc, mais aussi, pour ce qui concerne plus directement la filière cosmétique, l’huile de palme, le cacao et le soja.
Ce qui inclut pour chacun leurs produits dérivés :
• pour l’huile de palme : huile de palme et de palmiste même raffinée mais non chimiquement modifiée, tourteau, noix, acides et alcool gras, acide stéarique, acide palmitique, acide oléique, glycérol ;
• pour le cacao : beurre, graisse de cacao, fèves, coques, pellicules, autres déchets du cacao ;
• pour le soja : fève, huile même raffinée mais non chimiquement modifiée, tourteau et autre résidus solide résultant de l’extraction de l’huile.
Le plus gros impact de ce projet de Règlement sur la filière cosmétique réside bien sûr dans le ciblage de l’huile de palme. Et il faut savoir que si celle de la filière RSPO est largement favorisée par l’industrie, il en existe plusieurs grades, et que le “mass balance”, le plus utilisé, ne permet pas aujourd’hui de satisfaire aux exigences fixées par le texte, puisqu’il n’apporte pas suffisamment de données de traçabilité. Les deux seuls grades qui seraient conformes sont les “Segregated” et “Identity Preserved”.
“On peut craindre un potentiel engorgement au niveau de ces matières premières, et se poser la question de leur disponibilité à grande échelle, puisque ce qui est utilisé aujourd’hui de façon volontaire par la filière cosmétique deviendrait demain obligatoire”, a commenté Sybille Millet.
Les acteurs impactés
Le texte prévoit deux niveaux d’obligation, pour les opérateurs d’une part et pour les commerçants d’autre part.
• Les opérateurs, c’est-à-dire toutes les personnes physiques ou morales qui, dans le cadre d’une activité commerciale, mettent les produits concernés sur le marché de l’Union ou les exportent depuis le marché de l’Union, ont un devoir de “Due diligence” (diligence raisonnable ou de contrôle approprié).
• Les commerçants, c’est-à-dire toutes les personnes de la chaîne d’approvisionnement autre que les opérateurs qui, dans le cadre d’une activité commerciale, mettent à disposition sur le marché de l’Union les produits concernés, ont, eux, un devoir de collecte d’informations.
“Ce qu’il faut retenir, c’est que ces mesures vont impacter principalement les fournisseurs de matières premières”, a indiqué Sybille Millet. “Mais pour les fabricants de produits cosmétiques, il y a quand même un devoir de due diligence au niveau de la conformité de ses fournisseurs”.
Ce qui signifie concrètement des données à récolter pour vérifier que les fournisseurs de matières premières sont bien conformes, et une réflexion à mener sur les filières disponibles comme sur la disponibilité de ces matières premières.
La procédure de due diligence
La procédure décrite dans le projet de Règlement est obligatoire pour la mise sur le marché et l’export des produits, et comprend trois étapes :
• 1. la collecte d’informations, pour réunir les données de traçabilité sur toute la filière de façon à déterminer si elle est conforme,
• 2. l’évaluation du niveau de risque, pour identifier les potentiels de non-conformité,
• 3. la limitation des risques, en mettant en place de bonnes pratiques de façon à s’assurer que les matières premières et les produits sont conformes.
Trois niveaux de risques sont définis (faible, standard, élevé) et la Commission européenne a prévu de publier une cartographie de zones caractérisées selon leur niveau de risque, celles à risque faible ouvrant la voie à une procédure simplifiée.
Les données de due diligence devront être disponibles et transmissibles de façon électronique, pour une mise à disposition durant cinq ans.
La Commission doit également publier un guide à l’intention des opérateurs pour préciser ces obligations.
Le reporting
Il sera intégré dans un reporting extra financier, particulièrement pour les grandes sociétés de plus de 500 salariés (les PME en seraient exemptées), qui auraient l’obligation de rendre publiques chaque année leurs procédures de due diligence.
Le calendrier
Ce projet est en cours de finalisation au niveau du Parlement et du Conseil européen, un accord politique provisoire ayant été trouvé en décembre 2022. La publication est attendue durant cette année 2023, avec une entrée en vigueur 18 mois plus tard.
L’entrée en application des mesures, sera, elle, échelonnée.
Il faudra d’abord s’assurer que les produits concernés contiennent ou ont été fabriqués avec des matières premières produites sur des terres “deforestation-free”.
La due diligence serait obligatoire à partir de 2025, et le reporting est attendu pour 2026 (sur l’exercice 2025).
Des objectifs de contrôle seront donnés aux États membres, qui devront mettront en place un système dédié.